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Journal d'une caravane

14ème journée de Férial 497
Caravane Havre-Vif

Comment je suis devenu caravanier? T’en as de ces questions pour plomber l’ambiance toi…

Est-ce que ça a vraiment de l’importance? Tsé, parfois, vaut mieux oublier certaines choses…

Mais wé, j’imagine que pour vous à Havre-Vif ça en a… Parait que c’est votre truc de récolter des histoires… Et puis je me vois mal être impoli alors que vous nous offrez l’accueil auprès de votre feu…mais je te préviens, mon histoire a rien de spécial, c’est la même que tant d’autres…

En y repensant, j’ai presque l’impression que c’était une autre vie…et pourtant, c’était y a pas si longtemps finalement… Y a 16 ans de ça, j’habitais une petite chaumière dans la région dite du Haut Empire avec ma femme et notre fils. J’étais brasseur dans la brasserie que mon épouse avait héritée de son père. Sagement, il lui avait laissée plutôt qu’à son fils, alcoolique et violent. La vie n’était pas facile tous les jours mais nous n’avions pas trop à nous plaindre.

C’est durant l’hiver 481 que ma vie a basculé. Franchement, je ne connais même pas tous les tenants et aboutissants de l’histoire. Ce que je sais, c’est que l’Empire d’Or laissait une compagnie de mercenaires en garnison dans le bourg, autant pour le protéger que pour surveiller ses habitants. Ca faisait trois ans que le capitaine Argos et ses gars étaient en poste chez nous. Largement le temps pour les contrebandiers teuts de leur graisser généreusement la patte pour qu’ils “oublient” certaines denrées et ne soient pas trop regardants sur les chariots qui traversaient le bourg.

Mais cet hiver-là, l’administration de l’Empire d’Or ne l’entendait pas comme ça. Est-ce que quelqu’un a dénoncé Argos et son petit trafic? Est-ce que c’est la malchance seule? Quoi qu’il en soit, un petit matin brumeux et glacial, l’ombromancien Bakenramef, accompagné d’une phalange de vingt guerriers squelettes, prit ses quartiers dans le village ainsi que le commandement des mercenaires. Bakenramef, que la corruption ne pouvait atteindre, mit deux semaines à démanteler le réseau et à réunir les preuves contre Argos et ses hommes. Apparemment, certains contrebandiers purent échapper à la purge.

Ils revinrent quelques jours plus tard, accompagnés de plusieurs dizaines de rebelles fanatiques teuts. Ils voulaient se venger en tuant l’ombromancien, une proie de choix, et en mettant la main sur les rares et précieuses pierres de vie en sa possession. Ils attendirent la nuit avant de déclencher plusieurs incendies dans le village pour faire diversion. La brasserie est un des premiers bâtiments qui fut embrasé par les archers rebelles.

L’agitation gagna rapidement le village : les mercenaires beuglaient des ordres et les villageois s’organisaient en chaînes pour se passer des seaux. C’est là que la pluie de flèches a commencé à s’abattre sur nous, ne faisant aucune distinction entre habitants, mercenaires et guerriers squelettes. Je me souviens des gens qui tombent, des hurlements des blessés, de ma panique en cherchant mon épouse et mon fils…Et puis je vis surgir un rebelle teuts de la fumée, il me chargeait, le bouclier levé et la masse prête à frapper…et puis c’est le trou noir…

Lorsque je me suis réveillé, j’étais allongé dans la grange de Hans transformée en infirmerie…je voulu tout de suite me lever pour trouver Gésabelle et Tim, mais ma tête se mit à tourner et puis ce fut à nouveau le noir. Quand je repris enfin connaissance, Hans vint près de moi et m’annonça que ma femme et mon fils n’avaient pas survécu. De la brasserie, il ne restait rien qui ne soit calciné ou fumant. En l’espace d’une nuit, j’avais tout perdu. Bakenramef était, lui, bien vivant et accompagné d’une trentaine de guerriers morts-vivants, dont Argos, lorsqu’il quitta le village.

Je pris quelques affaires et je me mis en route sans dire au revoir à personne. Plus rien ne me retenait et je n’imaginais pas refaire ma vie au même endroit…trop de souvenirs douloureux. Au début, je pensais me rendre dans une grande ville pour y trouver embauche dans une brasserie. Sur la route, j’entendis dire qu’un rassemblement de caravanes se tenait à une dizaine de lieues et j’ai décidé de m’y rendre avec l’espoir de me joindre à l’une d’entre elles pour faire route vers des terres plus clémentes.

C’est une fois arrivé au rassemblement que je compris que j’étais comme tant d’autres…un réfugié, sans le sous, sans avenir, sans espoir. Je n’étais pas le seul à me raccrocher à l’idée de trouver une caravane qui voudrait bien de moi. J’ai cherché toute une journée avant de tomber sur Talia, la capitaine de la caravane La Roue Percée. Elle me demanda ce que je savais faire pour être utile à la caravane, je lui dis que je m’y connaissais en alcools de fruits. Elle me dévisagea et m’examina de pied en cap longuement avant de lâcher « Tu trouves de quoi distiller de l’alcool de fruits, et je te prends avec. » Je mis deux journées bien remplies pour réussir à troquer ce qu’il me fallait.

Et c’est comme ça que je suis devenu caravanier. Rapidement, je me rendis compte que ce mode de vie me convenait parfaitement : la route pour la route, avec pour seul but celui d’avancer, qu’importe où, qu’importe le temps que cela prend, il y a toujours une autre destination ensuite. On peut trouver de la sérénité dans cette vie si on cherche à fuir ses souvenirs. J’ai vite oublié de m’installer dans une grande ville…J’ai vite oublié de poser mon baluchon tout court en fait…j’avais trouvé une nouvelle famille, un nouveau foyer.

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